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Les défis de l’intégration professionnelle des réfugié-e-s et requérant-e-s d’asile en Suisse romande : l’expérience de Genèveroule

Une analyse de Kristela Tepelena, sociologue et collaboratrice au Conseil emploi de Genèveroule 

Insertion emploi-mécanique

Gennaro Capuano, responsable des arcades et ateliers et Kamal Ali, mécanicien AdR
Photo: Sigfredo Haro

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Ça fait un moment que mon objectif principal est celui de trouver un emploi, qui correspondrait à mes désirs et valeurs. Un emploi qui me motiverait d’aller de l’avant et qui me ferait vibrer. Pourtant, c’est dur. Malgré mes nombreuses postulations, et malgré mon CV bien riche, j’arrive à peine à décrocher des entretiens d’embauche. Je ne me voile pas la face et je pense que mon permis (N) constitue un énorme frein pour moi. Même si selon la loi suisse, c’est un permis valable pour exercer une activité lucrative, je crois que les employeurs-euses ne veulent pas se casser trop la tête avec plus de démarches administratives ou peut-être car ça reste quand même un permis provisoire. Je ne veux pas trop penser négativement à d’autres raisons de pourquoi ils ou elles ne m’embauchent pas. Je ne veux pas penser aux différentes discriminations qui peuvent être présentes dans les pensées de chacun et chacune car sinon je me démotive, et je n’aurais plus la force de continuer à me battre.

Je sais qu’une seule chose : je veux travailler, je veux avoir mon propre salaire et ne plus recevoir des prestations sociales. Je veux absolument aider et participer à la vie économique du canton genevois, et aussi au bien-être général de la population. J’espère que mon expérience professionnelle au sein de l’équipe de Genèveroule servira comme tremplin pour accéder au marché du travail genevois. Je me sens d’une certaine façon redevable à ce pays qui m’a hébergé dans des moments extrêmement difficiles, et donner ma contribution modeste serait la moindre des choses que je puisse faire.

Une collaboratrice de Genèveroule

L’intégration des populations issues de la migration est un sujet majeur et un réel défi dans le canton genevois. Les chercheurs-euses en sciences sociales estiment que l’exercice d’une activité lucrative constituerait le principal vecteur d’intégration en Suisse romande. Il a été amplement démontré que les tentatives d’intégration des requérant-e-s d’asile et les réfugié-e-s sont perturbées non seulement en comparaison avec les natif-ves, mais également avec les autres catégories de migrant-e-s. Cela est également visible dans le témoignage d’une des collaboratrices de Genèveroule présenté au début de cet article.

Les requérant-e-s d’asile et les réfugié-e-s se heurtent à des discriminations en raison de leur permis de séjour, du label provisoire de leurs permis, d’un capital humain moins adapté aux besoins économiques de la Suisse, ainsi que du manque d’information pour trouver un emploi en adéquation avec leurs qualifications. En résumé, les barrières que cette population peut rencontrer se regroupent en trois groupes de facteurs :

1) Les facteurs structurels ou les rigidités institutionnelles, telles que la politique d’intégration, le caractère provisoire des permis de séjour, la non-reconnaissance des diplômes et/ou l’expérience professionnelle exercée à l’étranger, ainsi que diverses formes de discriminations et des stéréotypes fortement ancrés dans les représentations des employeurs-euses. À cela s’ajoute le fait que la restriction au marché du travail pendant la procédure d’asile provoque des répercussions professionnelles pour les requérant-e-s d’asile qui sont autorisé-e-s à travailler seulement s’il n’y a pas de candidat-e-s suisses-esses ou possédant un permis de séjour B ou C.

2) Les facteurs linguistiques ou culturels : la maîtrise de la langue du canton (dans ce cas-ci le français) demeure primordiale afin d’accéder au marché du travail. Connaître la langue française est également essentiel afin de développer le réseau et pour comprendre les documents administratifs et législatifs qui seraient en leur faveur. De plus, le manque d’information au sujet des codes et normes sur la réglementation du marché du travail genevois, le déroulement des entretiens d’embauche, la rédaction d’un CV et d’une lettre de motivation suisse, peuvent être des éléments qui impactent l’insertion professionnelle des réfugié-e-s et des requérant-e-s d’asile.

3) Les facteurs psychologiques : de nombreuses études témoignent de la fragilité mentale due aux traumatismes à la suite d’évènements dramatiques, la situation de précarité en Suisse, ainsi que d’un potentiel déclassement social.

 

Les politiques d’intégration en Suisse et à Genève

A partir des années 90’, l’intégration des migrant-e-s et des réfugié-e-s en Suisse est devenue un enjeu essentiel relevant de la responsabilité de l’État afin d’assurer la bienveillance entre les Suisses-esses et les migrant-e-s, mais aussi pour réduire le recours de ces derniers-ères à l’aide sociale. L’ « immigrant policy », la politique d’intégration en Suisse, comprend un ensemble de mesures et de lois ayant pour objectif principal la protection sociale et légale ainsi que l’intégration économique, culturelle et politique des migrant-e-s dans tous les domaines de la société suisse. Étant un pays fédéral, il est important de préciser que la politique d’intégration en Suisse fonctionne sur trois niveaux : fédéral, cantonal et communal. Malgré l’existence d’un cadre légal commun, il y a des fortes variations en matière d’application des politiques d’intégration entre les cantons latins et germanophones.

A Genève, c’est le Bureau de l’intégration des étrangers (BIE) qui prend en charge l’application des politiques d’intégration et leur mise en œuvre. En 2014, le BIE a mis en place le Programme d’intégration cantonal (PIC), qui propose une variété de mesures pour promouvoir la cohésion sociale et soutenir l’intégration des migrant-e-s. Plus particulièrement, le PIC accorde une grande importance aux mesures liés à l’employabilité. De nombreux partenaires institutionnels, acteurs associatifs et communaux collaborent afin de renforcer les mesures concernant la formation, les cours de langue, les cours sur les us et coutumes suisses, la formation de courte ou longue durée ou encore la reconnaissance des diplômes et les certificats des pays d’origine.

La mission d’insertion de Genèveroule

En tant qu’association à but non lucratif, Genèveroule est un des acteurs impliqué dans les questions d’intégration socio-professionnelle des populations vulnérables. Reconnue plus généralement pour la promotion de la mobilité douce, Genèveroule a également comme mission l’insertion socio-professionnelle de cinq groupes cibles : les requérant-e-s d’asile, les réfugié-e-s, les personnes en emploi de solidarité, les apprenti-e-s et les pré apprenti-e-s, et les chômeurs-euses en fin de droit. La mission d’insertion de Genèveroule s’articule sur trois axes : la pratique professionnelle, la formation et le conseil en insertion. En effet, l’obtention d’un certificat de travail, l’attestation de compétences, et un dossier de candidature complet grâce au service Conseil emploi, concourent à développer la capacité d’une personne à atteindre son objectif d’insertion.

En 2021, Genèveroule a compté au sein de son équipe plus de 60 réfugié-e-s et requérant-e-s d’asile qui travaillent, suivent un stage ou une formation. L’idée principale est de « travailler pour se réinsérer ». Donc, donner la possibilité à cette population d’avoir une expérience professionnelle concrète et valorisante afin de regagner la confiance en soi, se former, apprendre les normes et les codes d’un emploi en Suisse, et se rapprocher le plus possible d’un poste de travail adéquat avec leurs qualifications. Plus concrètement, Genèveroule propose des postes de 50% à 100% dans le cadre des programmes cantonaux (Office cantonal de l’emploi, Hospice général). Nous pouvons mentionner ici les activités de réinsertion (AdR), qui permettent de faire face aux exigences professionnelles, de mettre à jour un CV, de créer du réseau et de gagner confiance en soi. Une autre possibilité, c’est le Stage de développement de l’employabilité (STADEVE), où les stagiaires bénéficient d’une expérience professionnelle concrète et d’un accompagnement socio-professionnel afin de réaliser leur propre projet professionnel.

Embaucher une personne ayant un permis N ou F

D’après de nombreuses recherches en sciences sociales et selon notre propre constat, un autre élément à ne pas sous-estimer au sujet de l’intégration professionnelle des réfugié-e-s et des requérant-e-s d’asile, c’est la méconnaissance de la part des employeurs-euses. Embaucher une personne bénéficiaire d’un permis N, F réfugié, F admis provisoire, et B réfugié se révèle être un sujet tabou et pas commun. De plus, la majorité des offres d’emploi sur internet ne possède pas l’option du permis N. Malgré la bonne volonté de cette population de s’engager dans la vie lucrative et de devenir indépendante de l’aide sociale, la réticence de la part des employeurs-euses constitue une barrière importante.

Il est important de mettre en lumière que le fait d’embaucher un-e réfugié-e ou un-e requérant-e d’asile est possible et demeure une réalité incontestable. De plus, c’est une procédure facile et qui ne demande pas beaucoup de temps, contrairement à ce qu’on pourrait croire. Effectivement, la nouvelle loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) permet une simplification des procédures de prise de l’emploi. Cette nouvelle loi est entrée en vigueur car les autorités compétentes ont remarqué qu’il y avait une réduction des coûts de l’assistance publique. De plus, les employeurs-euses qui ont engagé cette population sont très satisfait-e-s du travail fourni.

Pour engager une personne titulaire d’un permis B (réfugié-e) ou F, il suffit de remplir un formulaire et de l’envoyer à l’autorité compétente. Pour les personnes titulaires d’un permis N, l’exigence d’une autorité préalable reste en vigueur. En effet, un-e employeur-euse qui accepte d’engager une personne ayant un permis N doit demander préalablement une autorisation à l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (OCIRT).

Comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, exercer une activité lucrative constitue une « preuve » d’intégration et une très belle opportunité d’enrichissement du propre parcours professionnel pour le-la réfugié-e et le-la requérant-e d’asile. Toutefois, les aspects positifs peuvent être soulignés pour l’employeur-euse et l’entreprise qui souhaite engager une personne relevant du domaine de l’asile. Les études montrent que la diversité et la mixité au sein d’un environnement de travail augmente l’innovation et permet d’élargir le regard. Venant d’une autre culture, les réfugié-e-s et les requérant-e-s d’asile peuvent apporter des nouvelles idées et contribuer à l’enrichissement au sein d’une équipe. Un des mécaniciens encadrants nous en parle plus en détails :

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“Une des choses positives de travailler avec les réfugié-e-s c’est qu’on apprend d’autres cultures, d’autres manières de voir la mission du travail. Même malgré le fait qu’ils ne parlent pas beaucoup français ou qu’ils ont un problème avec la langue. Mais, si nous, de l’autre côté, on fait l’effort de les comprendre et avoir la patience de travailler avec eux, on arrive à apprendre beaucoup de choses et des visions différentes au niveau du travail. Je suis content et satisfait d’avoir engagé des réfugiés et j’ai découvert que j’ai un côté humain que je ne pensais pas avoir. Quand on doit travailler avec les réfugiés, il faut les aider, il faut être là pour eux, il faut les motiver aussi.”

Mécanicien encadrant Genèveroule

Pour aller plus loin

Bertrand Anne-Laure (2020), Dans la jungle des permis de séjour. Parcours administratifs et intégration professionnelle des réfugiés en Suisse, Genève : Seismo.

Brell Courtney, Dustmann Christian et Preston Ian (2020), The Labor Market Integration of Refugee Migrants in High-Income Countries, Journal of Economic Perspectives, Vol.34, No.1, pp.94-121.

Fibbi Rosita et Dahinden Janine (2004), Les requérants d’asile et le travail : déclassés ? indispensables ? bienvenus ?, Asyl : Revue Suisse pour la pratique et le droit d’asile, No.3, pp. 21-27

Green Eva G.T., Manatschal Anita, Pecoraro Marco et Wanner Philippe (2019), Does integration policy improve labour market, sociocultural and psychological adaptation of asylum related immigrants ? Evidence from Sri Lankans in Switzerland, Institute of Economic Research, Vol.08, No. 19, pp. 1-30.

Hangartner Dominik et Schmid Lukas (2020), Migration, Language, and Employement, lukassschmid.net/papers, [en ligne], http://www.lukasschmid.net/papers (Consulté le 2 Février 2022).

Indermühle Yvonne, Roos Kim, Sowe Rahel et Wenger Ines (2018) Addressing barriers to work for asylum seekers : Report from Switzerland, World Federation of Occupational Therapists Bulletin, Vol.74, No.2, pp. 123-127